Ecocert, comme un ver dans la pomme du label Bio
L’inspection du travail du Gers, après avoir épinglé la holding pour harcèlement moral sur une salariée, fait valoir à deux reprises l’irrecevabilité du licenciement du représentant Cgt, Philippe Hirou, et suggère (sous l’impulsion du Chsct) courant juillet, une enquête sur la souffrance au travail. Depuis cinq ans, onze salariés ont envoyé Ecocert devant le tribunal Prud’homal d’Auch (quatre procès sont en cours).
« Pour le respect de l’homme et de
l’environnement »[1],
c’est ce que l’on peut lire sur le site de l’entreprise qui se présente comme
une référence de la certification Bio dans le monde. Voilà pour la
façade !
Ainsi, la souffrance au travail n’est pas l’apanage des
grandes entreprises. L’image écolo et un brin insouciante du bio a bien changé.
Aujourd’hui, la certification est devenue un marché. La croissance à deux
chiffres d’Ecocert, de 15 à 20% par an, affichée fièrement par le Directeur
Général du groupe Philippe Thomazo, ancien cadre de Vivendi, ne souffre pas
d’ambiguïté : « Ecocert n’est pas une ONG, mais une entreprise
privée, et si des gens sont en colère, c’est parce qu’ils avaient une vision
trop idéaliste de l’entreprise ». Fi
de l’idéalisme donc, et place au réalisme économique et à la loi du marché.
Tous les mécanismes en œuvre dans le registre de la
souffrance au travail semblent en place et c’est sous couvert d’anonymat que salariés actuels et anciens rendent
compte d’un climat plus que délétère.
Le turn-over est un indicateur précieux pour mesurer le
bien-être au travail. Philippe Hirou donne le chiffre de 20%, chiffre démenti
par la directrice des ressources humaines, Valérie Clech, qui explique qu’il
n’y a que 10% de turn-over réel, les 10% restant seraient le fait d’une
mobilité choisie des salariés. Depuis le licenciement de trois cadres fin 2008
(affaire toujours aux Prud’hommes aujourd’hui), l’audit sur les risques
psychosociaux et les articles dans la presse nationale[2],
le turn-over semble avoir diminué.
« Les petites mains »
Selon Christophe Dejours[3],
le manque de reconnaissance et la dévalorisation du travail effrite les piliers
de la construction de l’identité, par là même l’armature de la santé mentale, conduisant
peu à peu à la souffrance. « À Ecocert, les petites mains ne doivent
pas déjeuner avec les cadres, c’est mal vu »
indique Valentine[4], ingénieur
et « petite main » de la certification. Et d’ajouter que lorsque la
question des salaires est posée, le Président Directeur Général, William Vidal,
co-fondateur de la société, explique à ses salariés qu’ils ont de la chance de
travailler pour Ecocert, et que ce sont eux qui devraient remercier
l’entreprise de les employer !
Jean évoque la stratégie qui consiste à mettre le
travailleur en situation d’échec, afin de lui signifier son incompétence, dans
le but de s’en débarrasser. Une parole divergente, un mot jugé trop critique à
l’égard de la politique de l’entreprise, et c’est le risque du licenciement. « Fixer
des objectifs inatteignables permet non seulement de ne jamais payer les
primes, mais aussi de garder en tension les salariés. L’esprit d’équipe ne peut
survivre à de telles attaques. Le plaisir dans le travail n’y est plus », précise Jean. Le manque de confiance affiché
joue comme autant de coups de poignard et brise peu à peu les défenses de
l’individu, altérant durablement l’estime de soi. Les modèles gestionnaires qui
définissent les nouvelles formes d’organisation du travail n’intègrent jamais
la question de la reconnaissance.
Management par la peur
Plusieurs personnes évoquent un management par la peur,
évidemment difficile à démontrer.
Seul le harcèlement moral existe dans l’arsenal législatif. « Les murs
ont des oreilles » souligne Jean. Ce
que Justine confirme lorsqu’elle parle de flicage et « des yeux
de Moscou un peu partout ». Philippe
Hirou explique que lors du licenciement de son adjointe[5]
et de la responsable Qualité France, il a sollicité la solidarité de tout le
personnel. Sans résultat ! On le sait, quand la peur du licenciement est
prégnante, malgré un CDI, alors les collectifs explosent et chacun se retrouve
seul face à sa souffrance. Il ne reste plus que des gens qui s’observent et se
soupçonnent… Peu à peu, les anciens quittent l’entreprise et son climat
d’inquiétude permanent. Les recrutements se font alors sur la base de la
capacité à la soumission (jeunesse et première expérience). C. Dejours[6]
reprend l’analyse d’Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem pour montrer que les attitudes de soumission au
travail se rapprochent des comportement de banalisation du mal, propres aux
systèmes d’oppression totalitaire.
Philipe Thomazo confirme sans ambages, « le métier
s’est beaucoup professionnalisé et est plus exigeant. C’est une entreprise
privée qui a vocation à s’agrandir ».
Lucide, de préciser qu’il y a bien « un changement culturel qui
induit de la casse, mais ici c’est passionnel ». Le décalage n’est pas anodin dans ce type de société. Il est
violent, car l’éthique écologiste se trouve heurtée par la nécessité du profit
maximum et de la croissance sans fin. Les salariés les plus anciens vivent
alors un conflit déontique majeur. Quand les règles de métiers construites
collectivement depuis de nombreuses années sont remplacées par les règles du
profit, alors le travail ne fait plus sens.
Marie confie qu’avant l’arrivée du cabinet chargé de faire
l’enquête sur les risques psychosociaux, deux psychologues sont venus dans les
locaux de la société pour entendre les difficultés des employés. Seulement deux
salariés se sont présentés. Un psychologue libéral de l’Isle-Jourdain aurait
confié à Marie qu’il a tellement de patients provenant d’Ecocert qu’il doit
jongler dans ses rendez-vous pour éviter que ceux-ci ne se croisent…
Si le secteur d’activité bio véhicule, lui aussi la problématique
actuelle de la souffrance au travail, du fait de sa quête de maximisation des
profits, on peut par ailleurs se poser la question de savoir pourquoi la
certification n’est pas le fait d’entreprises publiques, au simple motif que ce
secteur rend compte d’un projet économique et politique d’avenir.
Sous couvert de certification bio, doit-on s’exonérer de
penser le travail comme un lieu d’enrichissement, de réalisation de soi, comme
une promesse d’avenir ? Parce qu’il faut produire bio, se parfumer bio, faire
des jardins publics bio, doit-on accepter des rapports humains qui détruisent
les individus.
Non, décidément, dans la certification bio, le bonheur n’est plus dans le pré…
Ecocert est une holding de près de 500 salariés (dont 200 en France), divisée en quatre sociétés (Ecocert international, Ecocert France, Ecopass et Ecocert Cosmetics), dont le siège est à L’Isle-Jourdain, dans le Gers. Son activité de certification s’est élargie depuis sa création en 1991 ; en plus des produits agricoles et alimentaires, l’entreprise labellise Bio, les textiles, les espaces verts et les produits cosmétiques. La holding effectue les contrôles de 70% des entreprises (production et transformation) du secteur bio en France et 30% dans le monde Ecocert est accréditée par le Comité français d’accréditation (Cofrac), organisme indépendant et agrée par l’Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) qui émane du ministère de l’Agriculture.
(A lire dans le n° 10 de Friture, janvier 2010)
[2] Politis, mars 2009 ; Que choisir, juin 2009 ; Le canard enchaîné, juillet 2009
[3] Christophe Dejours, professeur titulaire de la chaire psychanalyse-santé-travail au Conservatoire national des arts et métiers, coauteur du livre Suicide et travail : que faire ? aux éditions PUF, 2009.
[4] Tous les prénoms ont été changés.
[5]
« Collectif ECOCERT », http://collectifecocert.blogspot.com/
[6] Christophe Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale. Ed. du Seuil, 1998