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Sous le rocher
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23 septembre 2009

Une ergonomie politique, pour un socialisme du XXIème siècle

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Née d’une conception politique du travail, l’ergonomie francophone s’est peu à peu affranchie de ses ambitions de transformations sociales, pour devenir, au même titre que les économistes, informaticiens et autres intervenants en entreprises, un conseiller du prince.

Lorsque Alain Wisner, un des pères de l’ergonomie française, dans les années 1950, intervient pour la première fois à la SNCF, c’est pour faire la démonstration de la pénibilité du travail des roulants. La Direction refusant catégoriquement toute intervention extérieure, les syndicats firent alors appel clandestinement à ce médecin qui se considérait déjà comme un « ergonomiste ».

L’ergonomie était donc bien politique. Néanmoins, pour se développer, construire son corpus, élaborer ses méthodes, élargir son champ d’action, il fallut qu’elle abandonnât toute marque idéologique. Pourtant, durant de nombreuses années, au sein du CNAM à Paris, étudiants, travailleurs, syndicalistes, médecins, ingénieurs, vinrent étudier dans l’idée, un jour, de transformer le travail. Beaucoup étaient des militants, beaucoup rêvaient d’une transformation plus radicale dans la division du travail, quelques-uns parlaient même de révolution…

Mais, la réalité des rapports de force dans l’entreprise, des cabinets-conseil, des budgets alloués à la recherche firent de l’ergonomie une servante du système, comme les autres sciences.

Aujourd’hui, cette science du travail doit devenir une science politique, engagée dans l’action et dans un projet de société. Aujourd’hui, alors que les médias découvrent les effets sociaux du travail, (suicides, accidents, maladies professionnelles), l’ergonomie doit porter un discours de transformation de la société, parce que le travail est au cœur de la société et qu’il est aussi un des constituants identitaires de chacun d’entre nous.

C’est pour cela, qu’il faut défendre l’idée d’une « ergonomie politique » au service du socialisme du XXIème siècle. La crise actuelle du capitalisme est une opportunité pour proposer de nouveaux outils de gestion de production, d’organisation du travail, de démocratie ouvrière et de choix industriels.

C’est donc dans cette arène que la révolution peut s’initier et que nous devons agir.

L’ergonomie est un formidable outil d’analyse et de compréhension de l’activité des travailleurs et du système de travail plus large. L’analyse fine et détaillée du geste de l’ouvrier jusqu'à ses modalités de prise de décision, en passant par les collaborations avec ses camarades, permet une lecture du travail qui dépasse de loin le simple descriptif des actions, pour mettre en lumière les savoir-faire, les gestes de métier, les tours de main, les affects au poste, bref, l’intelligence ouvrière. C’est redécouvrir ce que les Grecs anciens nommaient la Métis, l’intelligence rusée, permettant de s’affranchir des difficultés par ruse, par adaptation à la situation. L’ergonomie permet non seulement la compréhension du travail, elle œuvre aussi depuis un demi-siècle pour la régulation du système de production. Aujourd’hui son expertise doit servir les travailleurs et non plus les patrons.

L’ergonomie politique, dans le cadre de la construction d’un nouveau modèle de production socialiste, donne la priorité à l’humanisation du travail, sur la base de l’être humain comme moteur des processus productifs. Il n’est alors plus possible de penser le travail humain sans penser, afin de les transformer, les éléments qui constituent le modèle productif dominant (le capitaliste) : division du travail, processus de décision pyramidal, système de pouvoir violent, modalités de gestion qui priorisent la productivité sur la santé et relations sociales qui provoquent la souffrance.

L’analyse ergonomique du travail permet, pour chacun de ces points, d’apporter des réponses circonstanciées :

L’analyse ergonomique permet de vérifier que la division du travail, loin d’être source de performance est d’abord source de souffrance, d’inefficacité et de manque de sens (les suicides dans les lieux de travail en sont les manifestations les plus visibles et les plus dramatiques). Mettre en évidence les savoir-faire ouvriers, restituer aux travailleurs la part de leur connaissance sur le travail, rendre lisible les actions masquées et pourtant nécessaires, représente une première étape pour l’émancipation. Les interdits dans le travail sont souvent l’expression de la capacité d’adaptation des travailleurs, des coopérations nécessaires et des collectifs de travail dissimulés. Cette mise à plat permet, et c’est un danger pour le capitalisme, de s’affranchir de la division du travail, où il y a ceux qui savent d’un côté et ceux qui ne font qu’exécuter. L’analyse du travail fait la démonstration que cette division n’est pas fondée pour la réalisation effective de la production.

Les décisions de production n’appartiennent que rarement aux travailleurs. Pourtant lorsque l’on observe précisément la manière de fonctionner des ouvriers, on se rend compte qu’une multitude de décisions sont prises en permanence par chacun. Ils décident, indépendamment de toutes prescriptions, de modifier, d’améliorer, de réguler le système technique, sans en informer leur supérieur hiérarchique. Et ce sont ces décisions méconnues par l’encadrement qui rendent le système productif performant, bien plus que les méthodes de management.

Forts de leurs connaissances sur le système de production, les travailleurs sont en mesure de déterminer le compromis pertinent entre productivité et santé et de redéfinir, selon les bases d’une démocratie ouvrière réelle, les modalités de gestion de production. Ce compromis est la combinaison de multiples facteurs : savoir-faire, expérience, marges de manœuvre disponibles, système technique, choix de production.

Si l’on pense le travail avant de concevoir un espace de travail, une usine, une chaine de production, alors, pourquoi ne penserait-on pas les modalités mêmes du travail. Si dès la conception nous posons la question de l’organisation du travail, alors on interroge directement le sens même de ce que signifie pour chacun de travailler.

Finalement, l’idée de l’ergonomie politique consiste à utiliser les méthodes et connaissances de l’ergonomie dans un dessein politique, pour émanciper les travailleurs et donner un nouveau sens au travail.

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